Présentation du producteur : L'histoire de la création du département de l'Ain, en 1789-1790, a été décrite par Edouard Philipon dans l'introduction de son Dictionnaire topographique de l'Ain . Nous nous contenterons de reproduire une bonne partie de cet exposé, en le complétant par des documents de l'époque.
" Le 11 novembre 1789, l'Assemblée nationale chargeait son comité de constitution, augmenté pour la circonstance d'un certain nombre de représentants, de procéder à une nouvelle division du royaume. Les historiens de la Révolution répètent complaisamment que, dans l'esprit des Constituants, cette mesure avait pour but de briser les anciennes divisions territoriales de la France et d'en faire perdre jusqu'au souvenir. Rien n'est plus faux que cette conception a priori ; il n'y a pour s'en convaincre qu'à se reporter au rapport sommaire qui fut déposé sur le bureau de l'assemblée, par Bureaux de Pusy, à la séance du 8 janvier 1790. On y verra qu'avant de commencer ses travaux le comité de constitution avait engagé les provinces à proposer les divisions qu'elles croiraient le plus utiles à leur commerce, à leur agriculture, à leurs manufactures, à leurs localités, et que jamais il ne s'était permis de faire un changement à des dispositions convenues entre les parties intéressées, à moins de nécessité absolue ou de contravention aux décrets de l'Assemblée.
" Les principes qui ont guidé les membres du comité de constitution dans leur travail sont clairement exposés dans le rapport que l'on vient de citer, et témoignent hautement du désir de respecter, dans la mesure du possible, les anciennes coutumes et les anciens souvenirs.
" " Votre comité ", déclare Bureaux de Pusy, " a considéré que moins les usages et les relations actuelles éprouveraient de changements, plus il y aurait de motifs à la confiance, plus il y aurait de facilité à faire goûter le nouveau régime ; que la nouvelle division du royaume, destinée à simplifier et à perfectionner l'administration, devait offrir à l'esprit l'idée d'un partage égal, fraternel, utile sous tous les rapports et jamais celle d'un déchirement ou d'une dislocation du corps politique; et que, par conséquent, les anciennes limites des provinces devaient être respectées, toutes les fois qu'il n'y aurait pas utilité réelle ou nécessité évidente de les détruire " .
" En fait, c'est bien ainsi que l'on procéda : les cadres des divisions nouvelles se confondaient, en réalité, avec ceux des anciennes ; seulement, comme l'Assemblée avait fixé à 324 lieues carrées, en moyenne, la superficie de chaque département, les provinces d'une étendue supérieure furent subdivisées en un certain nombre de départements dont les limites coïncidaient, en règle générale, avec celles de la province qui leur avait donné naissance. Quant aux provinces trop petites pour former à elles seules des départements, on les groupa, suivant leurs affinités historiques, de manière à atteindre la superficie réglementaire. C'est ainsi que la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex, qui avaient longtemps vécu sous l'administration des princes de Savoie, se trouvèrent réunis dans l'une des divisions nouvelles créées par l'Assemblée nationale.
" Pour ce qui est de la Dombes, qui avait appartenu pendant plusieurs siècles à la maison de Beaujeu, il fut un instant question de l'unir au Beaujolais pour former un département . Ce projet, qui enlevait au département du Rhône-et-Loire une de ses meilleures provinces, fut sans doute combattu par les députés de la sénéchaussée de Lyon ; toujours est-il que, conformément aux conclusions de son comité de constitution, l'Assemblée attribua la principauté de Dombes au département de l'Ain.
" Ce département se trouvait ainsi limité à l'ouest et au sud par deux grands cours d'eau, la Saône et le Rhône, et confinait à l'est à des pays étrangers. Seule la frontière septentrionale devait être conventionnelle; les députés des départements limitrophes en prirent occasion de demander un certain nombre de paroisses qui appartenaient historiquement à la Bresse et que nos représentants leur abandonnèrent, sans compensation et sans raisons suffisantes. C'est ainsi que nous avons perdu Aromas, Burigna, Ceffia, Cessia, Chaléas, Chavagna, Coisia, Cornod, l'Hôpital, Montdidier, Poisoux, Saint-Jean-d'Étreux, Saint-Martin-de-Vaugrigneuse, Thoirette et Villette, qui appartiennent aujourd'hui au département du Jura.
" Au sud-ouest, les Lyonnais avaient demandé la Dombes, qui appartenait en grande partie à leurs riches fabricants ; mais, finalement, ils se contentèrent de nous prendre Caluire, et encore nous dédommagèrent-ils largement en nous abandonnant six des treize marches ou massages du Franc-Lyonnais : Genay et Saint-Bernard, qui appartenaient en totalité à ce petit pays, Civrieux, Riottiers, Saint-Didier-de-Formans et Saint-Jean-de-Thurigneux qui en dépendaient pour partie ".
Les échanges sur la frontière nord ne furent pas aussi défavorables pour l'Ain qu'Ed. Philipon veut bien le laisser croire. Le procès-verbal du 25 janvier 1790 (articles 1 à 5) donne une vision plus objective des modifications apportées aux anciennes frontières :
" Procès-verbal de démarcation et de division en districts et en cantons "
" Ce jourd'huy 15 février mil sept cent quatre vingt dix, les députés des provinces réunies pour former le département de Bresse assemblés au bureau vingt-deux s'y sont rencontrés :
Pour la province de Bresse, Messieurs Guyedan, curé de Saint-Trivier, Bottex, curé de Neuville-sur-Ain, de Cardon de Sandrans, le Comte de Foucigny, Populus aîné, Bouveyron, Gauthier des Orcières et Picquet.
Pour la province de Dombes, MM Lousineau, Dupont, curé de Saint-Didier-de-Chalaronne, de Vincent de Panette, Arriveur et Jourdain.
Pour la province du Bugey, MM Favre, curé d'Hotonne, de Clermont-Mont-Saint-Jean, Brillat-Savarin, Liliat de Crose.
Pour le Pays de Gex , MM Rouph de Varicourt, official de l'évêché de Genève, Deprez de Crassier, Girod de Thoiry, Girod de Chevry.
Il a été convenu et arrêté entre lesd. députés des articles qui suivent :
Article 1er
" Conformément au décret de l'Assemblée nationale du lundi 25 janvier dernier, les provinces de Bresse, Bugey, Dombes et Pays de Gex sont réunies en un seul département dont la ville de Bourg est le chef-lieu.
Ce département est divisé en neuf districts, dont les chefs-lieux sont les villes suivantes, savoir : 1. Bourg, 2. Montluel, 3. Châtillon, 4. Pont-de-Vaux, 5. Trévoux, 6. Belley, 7. Nantua, 8. Saint-Rambert, 9. Gex. Le district de Gex s'étendra du côté du midi jusqu'à la rivière de Valserine et au pont de Bellegarde.
Article 2
" Le département de Bresse ainsi formé par la réunion des provinces de Bresse, Bugey, Dombes et Pays de Gex, s'étend :
Au nord jusqu'à la rivière Seille à une partie détachée du Mâconnois et aux provinces de Bourgogne et de Franche-Comté. A l'est jusqu'à la Suisse, au lac de Genève, à la ville et territoire de Genève et au duché de Savoie. Au sud, jusqu'à la province de Dauphiné, le fleuve du Rhône entre deux, et encore, pour une très petite partie, jusqu'à la province du Lyonnois. A l'ouest jusqu'aux provinces du Lyonnois, Beaujolois et Mâconnois, la rivière de Saône entre deux.
Article 3
" Ouï le rapport de MM Populus, Brillat-Savarin, Jourdan et Girod de Chevry, commissaires nommés par la députation du présent département pour convenir et régler avec MM les députés et commissaires des départements voisins les lignes de démarcations et accorder les échanges de territoire qui paroitroient convenables pour la plus grande utilité des départements et d'après leur avis il est arrêté que l'échange convenu avec MM les députés du Lyonnois est approuvé. En conséquence il sera distrait du territoire de la province de Bresse, pour être réuni à celle du Lyonnois, la paroisse de Caluire pour la partie qui dépendoit de la Bresse, plus le nouveau faubourg de Saint-Clair construit aux approches de la ville de Lyon ; auquel effet il est tracé sur la carte du présent département une ligne de démarcation placée à l'extrémité septentrionale du territoire de Caluire qui donne au département de Lyon tout le territoire de la paroisse de Caluire avec le faubourg de Saint-Clair et qui conserve au département de Bresse tout le territoire des paroisses de Rillieux, Neyron et du hameau de La Pape.
Par suite du même échange, les territoires, paroisses et communautés de Genay, Civrieux, Saint-Jean-de-Thurigneux, Saint-Bernard, Saint-Didier, Riotier qui dépendoient de la province du Lyonnois et qui étoient enclavées dans celle de Dombes, sont distraits du département de Lyon et sont réunis au département de Bresse, et à cet effet, il est tracé sur la carte du présent département le ligne de démarcation, laquelle placée à l'extrémité septentrionale de Neuville l'Archevêque, conserve aux Lyonnois ledit lieu de Neuville avec les paroisses et communautés qui sont au midy d'iceluy et qui assure à la Bresse Montanay qui en faisoit déjà partie ainsi que Genay et tout ce qui est au nord de ces deux paroisses.
Enfin pour finir de limiter les deux départements dans cette partie qui est très irrégulière, une ligne de démarcation tirée sur la carte depuis l'extrémité septentrionale du territoire de Caluire jusqu'à la hauteur de Tremoye, assure au département du Lyonnois les territoires, paroisses et communautés de Rochetaillée, Saint-Martin-de-Fontaine, Notre-Dame-de-Fontaine, Fleurieux et Neuville-l'Archevêque, et au département de Bresse, la conservation des territoires, paroisses et communautés de Rillieu, La Pape, Neyron, Sathonay, Polsinge et Tramoye.
Nota. Cet échange a été de nouveau consenti par MM les commissaires du département du Lyonnois du 16 décembre dernier, l'accord a été rédigé par écrit et déposé au comité de constitution.
Article 4
" Toujours d'après le rapport de MM les commissaires et d'après leur avis, l'échange par eux accordé avec MM du département de Lons-le-Saunier, l'un des trois établis en Franche-Comté et rédigé par écrit, le vingt janvier dernier, qui est ici représenté et approuvé. En conséquence de cet échange, les territoires, paroisses et communautés et hameaux qui vont être détaillés sont distraits de la province de Bresse dont ils faisoient partie et sont réunis au département de Lons-Le-Saunier.
Ces territoires, paroisses, communautés et hameaux sont :
1. Coisiat, 2. Ceffiat, 3. Cornod ou Saint-Martin-de-Vaugrineuse, 4. Thoirette, 5. Villette-La-Montagne, 6. Chaléat, 7. Arromaz, 8. Burignat, 9. Lhôpital, 10. Poisoux, 11. Saint-Jean-d'Etreux, 12. Cessiat.
S'il dépend des hameaux ou écarts des paroisses et communautés ci-dessus dont il n'ait pas été fait mention dans la présente liste, ils resteront attachés à leurs paroisses et communautés et sont réunis avec elles au département de Lons-Le-Saunier.
Par suite du même échange, les territoires, paroisses, communautés et hameaux dont la liste suit, sont distraits de la province de Franche-Comté et du département de Lons-Le-Saunier, pour être réunis et incorporés au département de Bresse.
Ces territoires, paroisses, communautés et hameaux sont :
1. Coligny, 2. La Ville-sous-Charmoux, 3. Salavre, 4. Dingier, 5. Chavanne, Corcelle, 7. Seilla, 8. Rosy, 9. Chaveyssiat-Le-Grand, 10. Chaveyssiat-Le-Petit, 11. Pouillat, 12. Dalle, 13. Germagnat, 14. La Serra.
S'il dépend des hameaux ou écarts des paroisses et communautés dont il ait été omis de faire mention dans la liste ci-dessus, ils demeurent attachés à leurs paroisses et communautés et sont réunis avec elles au département de Bresse.
Nota. Cet échange est agréé par les députés des deux départements de Lons-Le-Saunier et de Bresse.
Article 5
" Les lignes de démarcation entre le présent département et ceux qui sont voisins et d'après les échanges énoncés aux deux articles précédens, sont fixées ainsi qu'il va être expliqué.
Au sud, la ligne de démarcation qui sépare le présent département de ceux du Dauphiné est fixée au point milieu et central du fleuve de Rhône. Ainsi accordé le 16 décembre dernier entre les commissaires des départements de Bresse et du Dauphiné.
Toujours au sud, vis à vis du Lyonnois, dans la partie de Caluire et de Neuville L'Archevêque, les lignes de démarcation entre le département de Bresse et celui de Lyon, sont les mêmes que celles ci-devant expliqués en l'article 3 ci-dessus.
A l'ouest, vis à vis du Lyonnois, du Beaujolois et du Mâconnois, la ligne de division est fixée, d'un commun accord avec MM les députés du Lyonnois, et du Beaujolois, au point milieu et central de la rivière de Saône et doit être adoptée entre le département de Bourg et le Mâconnois. Cette ligne commence à Neuville-L'Archevesque et se prolonge du côté du nord jusqu'au confluent de la rivière de Seille et de la Saône.
Au nord, dans la partie qui avoisine la Bourgogne, la ligne de démarcation est d'abord fixée au point milieu de la rivière de Seille et ensuite à l'extrémité septentrionale des territoires de Sermoyer, Montsimon, Courtoux, Curciat-Dongalon, La Chapelle-Tecle, pour la partie qui appartient à la Bresse, Tagisset, Cormoz, lesquels territoires sont situés en Bresse.
Toujours au nord et dans les parties qui touchent la Franche-Comté, la ligne de division entre le département de Bourg et celui de Lons-le-Saunier est fixée aux extrémités des territoires de Coligny et ses hameaux de La Ville-sous-Charmoux, de Salavre, de Dingier, de Verjon, Roissiat, Courmangoux, Chevignat, Pressiat, Poulliat et ses hameaux, Germagnat et ses hameaux, Chavane et ses hameaux, Cuvergnat, Arnans, Saint-Maurice-d'Etrezeau [sic], Corveyssiat, tous lesquels territoires font partie du département de Bresse. Depuis Saint-Maurice-d'Etrezeau jusqu'au confluent de la rivière d'Ains et de celle de Saint-Claude [la Bienne] et au bourg de Dortant, la ligne de démarcation est arrêté au point milieu et central des deux rivières. Depuis le bourg de Dortant jusqu'au territoire de la Suisse, la ligne de division est fixée aux extrémités septentrionales de Dortant, Arbant, Oyonnax, Belleydoux, dépendants du présent département ".
La suite du procès-verbal donne la description de chacun des districts.
Au cours des premières années de la Révolution, quelques nouvelles modifications mineures furent encore apportées : Seyssel-Savoie et Seyssel-Ain séparés par le traité de Turin (1760) sont à nouveau réunis par décret du 19 ventôse an II et rattachés à l'Ain. La limite de 1790 est encore légèrement modifiée en l'an III dans la région de la Chapelle-Thècle et de Tagisset (voir les cartes jointes au répertoire des archives du district de Pont-de-Vaux, 9L). Mais la modification la plus importante fut la réunion du Pays de Gex à la République de Genève pour former le département du Léman, les 17 et 25 août 1798. Cette modification a eu pour conséquence que les sources de l'histoire du Pays de Gex de 1798 à 1815 se trouvent maintenant conservées en majeure partie à Genève et non pas à Bourg.